En attendant que le président Félix Tshisekedi fasse connaître ses conclusions et décisions, l’heure est à la compilation des mémorandums déposés par les « consultés ». Le président de la République a pris le temps de participer en début de ce week-end à un mini-sommet extraordinaire de la SADC à Gaborone (Botswana) où la situation de la RDC a été largement évoquée.
Que dira le président de la République lorsqu’il reviendra vers ses compatriotes ? Que peut-il concrètement faire ? Peut-il mettre une croix sur la coalition FCC-CACH sans casses ? Peut-il s’engager vers une cohabitation avec la majorité parlementaire FCC ? Peut-il dissoudre l’assemblée nationale ? Peut-il renégocier le deal politique avec « son partenaire » Joseph Kabila et l’accord de coalition FCC-CACH pour rééquilibrer le pouvoir ? Toutes les options sont, semble-t-il, sur la table et aucune n’est exclue, selon le propre mot du président de la République lors de son discours du 23 octobre.
S’il a toutes les cartes entre ses mains, on doit néanmoins reconnaître que la marge de manœuvres de Félix Tshisekedi est assez étroite. Il devra jongler entre plusieurs options pour trouver la meilleure formule qui lui permette de diriger le pays pour les trois prochaines années, lui qui est sur le point de boucler la deuxième année de son quinquennat marquée par de nombreuses divergences avec ses partenaires du FCC. Ces derniers n’ont pas arrêté de l’accuser de violations « régulières et massives » de la constitution, selon l’expression du député FCC François Nzekuye ce matin sur Top Congo FM, notamment dans la nomination des membres de la cour constitutionnelle.
Sort réglé ?
Quelle que soit l’option que prendra le président de la République, une chose est sûre : Félix Tshisekedi n’entend pas continuer à diriger le pays avec un premier ministre totalement aux ordres du FCC. Pour d’aucuns, le sort de Sylvestre Ilunga Ilunkamba est réglé. Le président de la République et le premier ministre, les deux têtes du pouvoir exécutif, ne se seraient pas vus, officiellement, depuis que les réunions du gouvernement ont été suspendues. Six réunions du conseil des ministres ont déjà été zappées par le président de la République, qui a refusé, apparemment, de déléguer cette prérogative au premier ministre, comme le stipule l’article 79 alinéa 1er de la constitution. Certes, des réunions sectorielles des ministres se tiennent autour du premier ministre, mais elles ne remplacent pas les conseils des ministres où se prennent les grandes décisions du gouvernement.
Si Félix Tshisekedi n’entend plus « collaborer » avec Sylvestre Ilunga Ilunkamba, il lui faudra renégocier avec son partenaire FCC si l’option est prise de poursuivre avec une coalition aménagée où la famille politique de Joseph Kabila continuerait à dicter sa loi avec sa majorité écrasante. Encore faut-il que le président arrive à expliquer son choix aux nombreuses personnalités qu’il a rencontrées dans ses consultations et qui lui ont apporté leur soutien pour la création de l’«union sacrée de la nation ».
Coup d’Etat constitutionnel ?
S’il ne peut dissoudre l’assemblée nationale parce que la constitution définit les circonstances donnant lieu à une dissolution (article 148) et que la CENI est obligée de convoquer de nouvelles élections dans les 60 jours (article 148) alors que Corneille Nangaa fin mandat n’est toujours pas remplacé à la tête de la centrale électorale et que les moyens financiers font défaut, le président sera obligé de chercher à créer une nouvelle majorité qui lui serait acquise. Comment y parviendra-t-il alors que l’UDPS et l’UNC ne peuvent réunir les 251 députés nécessaires à la constitution d’une nouvelle majorité, même avec l’apport des députés de l’AFDC-A de Modeste Bahati et de Lamuka (MLC de Jean-Pierre Bemba et Ensemble de Moïse Katumbi).
Il faut noter que le FCC comptait, lors de l’établissement de la majorité au début de la législature actuelle près de 387 députés, tandis que l’opposition en avait 113. Depuis, il y a eu des fissures avec le départ du FCC de l’AFDC-A favorable à Modeste Bahati, une autre frange de ce groupe parlementaire sous la coupe de Néné Nkulu est toutefois restée scotchée au FCC.
Selon certaines estimations, la majorité FCC-CACH devrait compter près de 340 députés dont une cinquantaine seulement pour les groupes parlementaires UNC, UDPS/Tshisekedi et leurs différents alliés. L’UNC et l’UDPS ainsi que leurs alliés anciens et nouveaux seraient trop peu nombreux pour faire pencher la balance de façon automatique.
Félix Tshisekedi sera obligé de tenter un coup de force pour reconfigurer l’assemblée nationale sans violer les dispositions de son règlement intérieur, qui a défini la majorité et l’opposition au début de la législature. Des observateurs notent toutefois que si le règlement intérieur de l’assemblée nationale verrouille la configuration de la chambre basse dès le début, il est possible aux députés de voter, selon leur conscience sans nécessairement quitter leurs partis ou groupes parlementaires.
Bien plus, argumentent-ils, les députés de la majorité actuelle qui voudraient migrer vers l’ «union sacrée de la nation » n’auront nullement besoin d’enfreindre les dispositions pertinentes du règlement intérieur puisqu’ils resteraient dans la majorité, la nouvelle majorité qui se créerait, sans le PPRD et ses nombreux alliés dans le FCC.
Il est également possible, fait-on observer, que les députés se rebellent au sein de leurs groupes parlementaires actuels pour se déclarer favorables à l’«union sacrée de la nation », en mettant à l’écart certains de leurs collègues comme cela s’est fait dans l’AFDC-A de Modeste Bahati Lukwebo. La bataille pourrait alors se jouer devant la cour constitutionnelle, qui n’est plus totalement sous la coupe du FCC.
Echec interdit
Quoi qu’il en soit et quelle que soit l’option qu’il choisira, Félix Tshisekedi n’a pas droit à l’erreur et l’échec lui est interdit. S’il opte pour le maintien de la coalition FCC-CACH, il ne lui sera pas possible d’imposer sa loi, à moins qu’il impose ses vues en se considérant comme chef de la coalition. S’il renégocie avec Joseph Kabila les contours du deal et de l’accord de coalition sans obtenir le plus pour lui, Félix Tshisekedi risque de devenir un « jouet » entre les mains du FCC.
Si le bureau de l’assemblée nationale garde sa configuration actuelle avec ses cinq membres du FCC sur les 6 actuels et sans le premier vice-président dont l’élection n’est toujours pas programmée pour remplacer Jean-Marc Kabund, Félix Tshisekedi va se retrouver devant un mur. Certes, la cour constitutionnelle échappe au contrôle du FCC, mais il lui sera difficile si pas impossible de contrôler le calendrier des sessions du parlement. Des lois nécessaires aux réformes institutionnelles ne seront jamais programmées tout comme celles nécessaires à la réforme de la CENI. Il ne sera même pas possible de modifier certaines dispositions de la constitution, comme le retour à deux tours pour l’élection présidentielle. Tout sera rejeté par la majorité FCC.
Félix Tshisekedi est donc placé devant ses responsabilités. Il doit jouer à l’équilibriste. Certes, c’est lui le chef, mais il doit surfer entre les dispositions constitutionnelles et légales pour imposer sa marque aux réformes nécessaires pour débloquer la marche du pays. Il est contraint de réussir s’il ne veut pas devenir un pantin entre les mains du FCC et de son autorité morale. Il a l’occasion de se sortir de cette trappe dans laquelle le FCC l’a enfermée. S’il a des ambitions pour 2023, c’est le moment ou jamais de bousculer l’ordre établi. La majorité parlementaire issue des élections du 30 décembre 2018 est une véritable épine dans les pieds de Félix Tshisekedi. Il a le devoir de s’en défaire, sans quoi il est perdu.
N’tombo Lukuti