Nous embarquons dans un mini-bus Mercedez qui quitte le rond-point Lemba pour l’avenue du Commerce, au centre-ville, dans la commune de la Gombe.
Au premier coup d’accélérateur donné par le conducteur, un homme, la quarantaine, cheveux rasés, barbe un peu négligé, se lève à la première rangée, juste derrière la cabine du chauffeur. Son positionnement dans le bus est stratégique: ça lui permet d’arroser d’un regard tout l’auditoire circonstanciel.
” Bien-aimé dans le Seigneur, bonjour ! Bonjour encore”, lance-t-il d’entrée de jeu. Plus de la moitié de passagers ont répondu à sa salutation et c’est déjà une permission, pour lui, d’enchaîner.
Le temps d’une exhortation basée sur la promesse de Dieu dans la vie de chacun en termes de prospérité économique, l’on parcourt le boulevard Lumumba et une partie du boulevard Sendwe. Quand le taxi-bus s’engage sur l’avenue Luambo Makiadi (ex-Bokasa), le prédicateur fait la dernière prière et enfile un gilet frappé du nom d’un orphelinat. Là commence une demande de soutien financier pour aider les enfants orphelins de sa structure et Dieu ne manquera pas de restituer au centuple à chacun de donnateurs.
Sa communication très pointue paie relativement. Quelques passagers contribuent. Une prière spéciale en forme de déclaration est rapidement dite, le billet étouffé entre la main qui reçoit et celle qui donne.
Au finish, le prédicateur, à l’aise dans son verbe, compte à haute et intelligible voix l’argent reçu. Et ça fait un total de 10 000 francs. Il coche la tête en signe de regret et dit: “J’ai 13 enfants orphelins qui consomment 2 boîtes de lait par jour”. Il remobilise l’auditoire, en vain. Plusieurs passagers sont déjà descendus.
Charité ou arnaque
Le constat est presque général. De plus en plus de prédicateurs dans des taxi-bus à Kinshasa se définissent comme responsables des orphelinats. Certains brandissent des photos comme preuve. D’autres des vidéos à l’aide de leurs smartphones.
Ces “hommes de Dieu” développent-ils un nouvel élan de charité ou une nouvelle manière d’arnaquer les passagers? “Ce n’est plus de l’apostolat, mais une manière de soutirer l’argent aux paisibles citoyens”, tranche Justin Kifuta.
“J’ai demandé à un pasteur de me donner l’adresse de son orphelinat, il n’a pas hésité de le faire. Un jour, à sa grande surprise, je l’ai trouvé au quartier Camp de tirs, à l’adresse qu’il m’avait communiquée, avec deux enfants de son grand frère qui venait de décéder. Donc, j’étais confus et le pasteur a failli s’enterrer vivant”, témoigne Urbain Kidindi. Et Yannick Kiala de le compléter : “C’est vraiment choquant ce que font ces gens là. On ne se sert pas de Dieu pour subvenir à ses besoins.”
Interdits dans les bus publics
“C’est un business du genre nouveau qui paie bien son homme. N’est-ce pas que le frère Patrice Ngoyi Musoko avait dit: ” j’ai cherché l’église, je l’ai trouvée dans le monde” Allons seulement”, argue David Muteba.
Pour Chantal Kabasua, il faut carrément interrompre ” ces gens se prennent la tête comme si nous étions leurs brebis …”
Tous ces prédicateurs-parents des orphelins sont-ils des arnaqueurs ? Dieu seul sait. Dans les bus publics (Transco, Esprit de vie et Transkin), ils ne sont pas autorisés de prêcher. Chez les privés où certains sont arrivés même à se disputer la place, ils sont libres.
Et quand on les critique de récolter des offrandes dans un lieu inapproprié, ils ne manquent généralement pas cette réponse : “L’évangile est gratuite, mais l’évangilisation, elle, a un coût».
En vrai, le seul coût qu’ils paient, c’est le prix de la course au receveur. Pour le reste, vaut mieux s’abstenir: le diable est dans les détails.
SN