Les habitués des taxis-motos à Kinshasa sont souvent témoins de conversations sur l’amour, mais celle-ci sort de l’ordinaire. Une cliente se confie sur une vie amoureuse complexe et déroutante, entre un mariage à venir et une relation cachée qui mêle pitié, douleur et curiosité.
Il est 20h. Après une longue journée de travail et une réunion à la rédaction, la fatigue pèse. Pour rentrer chez moi à l’UPN, il me faut affronter les embouteillages de Kintambo Magasin. Ce soir, la circulation est un véritable calvaire. La route Nguma étant en sens unique, les bus se font rares. Les “wewas” (NDLR : taxis-motos) imposent leurs tarifs sans pitié : 5 000 Francs ou rien. Je me résous à attendre, bien décidé à ne pas payer plus de 3 000 Francs.
Finalement, un motard en tricot vert et casque rouge accepte mes 3 000 Francs. Nous avançons dans la file, et le motard, cherchant un deuxième passager, repère un couple enlacé près d’un immeuble en construction. Avec humour, il les interpelle : “Bo bunda kaka !” (NDLR : “Battez-vous seulement !”). Intrigué, je les observe en silence, curieux.
L’homme murmure à sa compagne : “Pas d’avortement cette fois-ci, je vais te faire un enfant.” Elle lui répond, sarcastique : “Toko tala kasi” (NDLR : “On verra bien”). Elle prend place entre moi et le motard, qui lui demande pourquoi elle ne se bat pas pour son homme. Elle lui répond, sans détour : “C’est un homme marié. Si ça devient public, ce sera un scandale.” Intrigué, je ne peux m’empêcher de la questionner.
“Pourquoi ne pas trouver un homme pour toi ?”, demandé-je. Elle répond calmement qu’elle se marie en décembre. Cependant, cet homme marié la comble d’attentions. Il quitte son domicile pour la rejoindre, même tard dans la nuit, sous prétexte d’obligations professionnelles. “Il me met à l’aise et prend soin de moi”, ajoute-t-elle.
Surpris, je lui demande ce qu’elle ressent pour son futur mari. Elle avoue que les préparatifs de mariage la pèsent. Elle a même demandé aux garçons et filles d’honneur de suspendre les répétitions de danse. “Mon cœur n’y est plus”, confie-t-elle amèrement. Son fiancé, mystérieux et distant, fait les courses pour la dot sans lui montrer les factures. “J’ai l’impression qu’il se joue de moi”, confie-t-elle.
Quand je lui suggère d’annuler, elle m’explique que la situation est plus compliquée. Son amant est le patron de son grand frère. Une rupture pourrait mettre en péril les relations familiales. Touché par son histoire, je lui exprime ma compassion.
Arrivée à son arrêt, elle descend de la moto, me remercie et me demande si elle ne m’a pas dérangé avec ses confidences. “Pas du tout”, la rassuré-je. Elle s’appelle Racha(nom d’emprunt par souci d’anonymat), et je lui révèle mon nom. Nous nous saluons et elle disparaît dans la nuit.
Alors que nous continuons, le motard, ayant perçu des bribes de notre conversation, me lance : “Ah, vieux, makambo ya mokili !” (NDLR : “Les choses de ce monde !”). En échange du prix de la course, il me propose de lui raconter l’histoire complète. “Pas de problème”, lui dis-je.
Ezemo et Sametonn